(Texte présenté au COLLOQUE « HENRI GUILLEMIN ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE – LE MOMENT ROBESPIERRE », le 26 octobre 2013 à l’Institut Catholique de Paris (ICP), et publié par les Éditions Utovie en 2014, avec les autres communications, sous le titre Actes du colloque.)
Merci de m’avoir invité parmi vous ; c’est une joie de retrouver des amis ─ et de fins connaisseurs ─ de ces personnages qui comptent tant pour moi, Robespierre et Guillemin. Je voudrais profiter de cette occasion pour dire notre reconnaissance, à nous les simples citoyens, d’habitude sans parole, à la mémoire d’Henri Guillemin ; merci de nous éclairer, de nous détromper, de nous armer, pour résister aux privilégiés du moment.
Nous sommes nombreux à nous être réveillés politiquement en2005, à l’occasion du référendum sur l’anti-constitution européenne, et à nous révolter contre le coup d’État du 4 février 2008, lorsque nos prétendus « représentants »nous ont imposé par voie parlementaire le traité que nous venions de refuser par référendum : la souveraineté populaire n’appartient évidemment pas aux élus et ils ne peuvent pas la transmettre à qui que ce soit sans nous trahir au dernier degré. Le gouvernement par traités est une félonie.
Depuis huit ans, je cherche à comprendre les origines premières du régime d’imposteurs dans lequel nous vivons, et je remets à l’endroit des mots importants qui ont été mis à l’envers depuis deux cents ans.Par exemple, le mot démocratie :il est extravagant d’appeler démocratie le régime actuel ─ dans lequel le peuple n’a rigoureusement aucun pouvoir, alors que la démocratie, à l’évidence, devrait être le régime qui donne ─ et garantit ─ le cratos au demos.
Un autre concept important a été mis littéralement à l’envers, c’est l’expression suffrage universel, qui a été réduite à la désignation de maîtres alors qu’elle devrait signifier la désignation de lois : avec un suffrage universel digne de ce nom, nous devrions voter nous-mêmes nos lois. Certes,nous aurions sans doute besoin de représentants,mais de représentants qui soient nos serviteurs et pas nos maîtres ! Or le mot représentants est polysémique, il a deux sens ─ contraires ! ─, ce qui permet aux imposteurs de donner le change en jouant sur les mots.
C’est un point de désaccord que j’ai avec Florence Gauthier,dont j’apprécie, par ailleurs, le travail sur le droit naturel et sur la Révolution française : je défends l’idée du tirage au sort comme seule procédure capable de garantir au peuple une vraie démocratie et un suffrage universel digne de ce nom. Et Florence trouve farfelue ─ et même dangereuse ─ cette idée du tirage au sort, elle défend le « suffrage universel » dont elle affirme l’importance pour peu qu’on se débarrasse des mauvais coups et impostures des partis. Je suis presque d’accord, mais il me semble que c’est précisément grâce au tirage au sort que nous viendrons à bout des voleurs de pouvoir, et que nous n’y arriverons pas sans lui.
Une grande question est : « l’élection permet-elle de désigner des serviteurs ? » Il me semble que non, quand on élit des candidats : l’élection emporte alors mécaniquement une dépossession,un abandon, une soumission des électeurs en faveur des élus. En revanche, c’est vrai que ce serait différent si nous les élisions librement, sans qu’ils aient été candidats, et surtout sans qu’ils nous soient imposés par les partis ; de même, s’ils étaient toujours révocables, et surtout à notre initiative ! Mais cela n’est pas le cas du tout, et l’actuelle élection désigne incontestablement des maîtres.
Alors que, de son côté,par construction, le tirage au sort de représentants désigne mécaniquement des serviteurs : à Athènes, il y a deux mille cinq cents ans, les représentants qui ont été tirés au sort tous les jours pendant deux cents ans étaient, grâce au tirage au sort (et à la rotation des charges), des serviteurs, ce n’étaient pas les tirés au sort qui votaient les lois, mais les citoyens.
C’est donc un échange musclé mais bienveillant que j’ai avec Florence, mais qui, à mon avis, a encore beaucoup de fruits à donner, parce que c’est dans la controverse qu’on progresse ; il n’y a pas de meilleure façon de progresser que dans la contradiction[1]. La démocratie et la politique ont besoin de ─reposent sur ─ la très indispensable mise en scène des conflits.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas des citoyens (encore un mot essentiel mis à l’envers), nous ne votons pas nos lois, nous ne sommes pas autonomes, nous avons été ravalés (par les « élus », justement) au rang dégradant d’électeurs, hétéro-nomes c’est-à-dire que nous subissons les règles écrites par d’autres. Politiquement, un citoyen est un adulte, alors qu’un électeur est un enfant, étymologiquement sans parole.
Alors, à propos du régime dans lequel on est, tout repose en fait sur la Constitution (qu’on appelle parfois le droit du droit), tout va dépendre de l’écriture du contrat social (qui l’écrit ?) :la Constitution dit comment est produit le droit que nous consentons à respecter. Voilà encore un mot fondamental qui a été mis à l’envers depuis deux cents ans ─ et « deux cents ans » ça cible exactement l’époque dont nous parlons : on peut la faire commencer avec l’assassinat de Robespierre par Sieyès et la bande des Thermidoriens qui nous ont imposé le régime dans lequel nous vivons encore aujourd’hui. Il me semble très important, pour pouvoir le changer, de comprendre comment le régime d’aujourd’hui est né. Et les idées de Robespierre, et donc de Rousseau, qui bouillonnaient à l’époque, nous sont d’un secours immense pour fabriquer, inventer, de nouvelles combinaisons, mais en nous appuyant sur ce qu’ils ont déjà pensé.
Quand Guillemin est apparu dans ma vie de militant, en 2011,ça a été évidemment éblouissant, très cohérent avec tout ce que je faisais, très renforçant. Henri Guillemin, qui est en fait un journaliste digne de ce nom, une sentinelle du peuple, me donne des quantités d’armes avec des preuves de la du-pli-ci-té, des mensonges de ceux que, moi, j’appelle les voleurs de pouvoir ─ les gens qui sont au pouvoir depuis deux cents ans le volent au peuple ─ et la démonstration méthodique, preuve après preuve, avec ses petits papiers que j’aime tant (il parlait sans notes et il avait tout le temps des petits papiers sur lesquels il avait noté les propos exacts des traîtres qui avouaient, aveux qu’il avait été chercher dans les archives, dans les documents officiels, mais aussi et surtout dans les mémoires, dans les journaux, dans les lettres… un travail de fourmi).
Exemple, Napoléon : « La France ? Je couche avec elle, elle fait ce que je veux, et elle paie » [2]…
Autre exemple, quand Guillemin me raconte[3] comment Thiers, ce salaud de Thiers, ce menteur, ce voleur, cet assassin, planqué avec ses complices affairistes et banquiers, bourreaux du peuple, derrière l’étiquette fallacieuse et trompeuse de parti « centre gauche » (!) (c’est l’ancêtre parfait du prétendu « PS »,même génome increvable de mensonge et de traîtrise, colonialiste et va-t-en-guerre avec une apparence humanitaire), comment cette fripouille de Thiers, donc, arrive à convaincre les six cents royalistes de l’Assemblée nationale de voter pour la IIIe « République » (qui est en fait évidemment une Réprivée) en leur démontrant que le « suffrage universel » est un bien meilleur régime que la monarchie pour conserver les privilèges des possédants, quand il me raconte ça en détail, Guillemin, quand il me raconte comment ces crapules encravatées déclenchent volontairement des guerres abominables pour éviter les révolutions, eh bien, son récit vivant et documenté de toutes ces intrigues est extrêmement utile pour alimenter notre éducation populaire, entre nous, à la base. Les vidéos de Guillemin sont un service public, elles entretiennent la mémoire de nos luttes, on devrait les passer régulièrement dans toutes les classes à l’école…
Le travail de Guillemin est complémentaire de celui des historiens officiels, académiques : lui, il est engagé, il est militant,il est vivant ; pour lui, l’histoire vraie, sensible à tous, sert à quelque chose, c’est une arme des faibles contre les forts, et cette parole compréhensible par tout le monde est précieuse parce que nous avons tous besoin, nous les citoyens (les gens normaux qui ne voulons pas le pouvoir), nous avons tous besoin, pour créer une nouvelle société, de mieux connaître notre histoire ; pour imaginer notre futur, l’histoire nous donne des forces indispensables.
Il est important pour le pouvoir de gommer une partie de l’histoire de nos luttes et, s’il le faut, de réécrire une histoire qui lui est favorable. Donc, de notre côté, il est également important de déconstruire les histoires officielles, et de ce point de vue, Guillemin écrit pour nous la contre-histoire du gouvernement représentatif, il nous aide à comprendre l’imposture parlementaire,qui consiste à appeler « suffrage universel » la désignation de maîtres qui décident tout à notre place pendant cinq ans, parmi des gens que nous n’avons même pas choisis (qui sont toujours choisis par les plus riches), et contre lesquels nous ne pouvons rien, ni pendant leur mandat (les élus sont irrévocables) ni enfin de mandat (puisque tous les choix alternatifs sont de faux choix), avec juste le droit de nous taire.
Cette imposture, qui a été dénoncée par bien d’autres penseurs éminents, dont Carré de Malberg, ce grand juriste dont je vous recommande le livre formidable La Loi, expression de la volonté générale[4],cette imposture parlementaire, elle ne peut être démontée que par nous : la solution ne viendra pas des élus, la solution ne viendra pas de ceux qui ont le pouvoir en ce moment : on n’a jamais vu un ordre de domination rendre les clefs spontanément, ça ne se passera pas comme ça.
J’étais hier soir à la première assemblée d’une nouvelle association qui s’appelle « Citoyens constituants », expression à mes yeux es-sen-tielle : il me semble que,si Robespierre n’a pas réussi, s’il s’est fait battre, s’il s’est fait écraser,c’est parce que la conscience populaire n’était pas encore (et ce n’est pas parce qu’elle ne l’était pas encore qu’elle ne le sera jamais) assez développée pour prendre le dessus, lors de cette insurrection. Il me semble que, lors de la prochaine insurrection (je ne sais pas quand ça arrivera), c’est parce que les citoyens auront pris conscience de leur nécessaire pouvoir constituant que tout va changer : c’est à nous d’écrire le contrat social, ce n’est pas aux hommes de pouvoir d’écrire les règles du pouvoir, ce n’est pas aux parlementaires ni aux ministres ni aux hommes de partis d’écrire la constitution, l’Assemblée constituante ne doit surtout pas être élue parmi des professionnels de la politique.
Et ça, on ne le disait pas encore à l’époque de Robespierre (ou en tout cas très peu, un peu chez Rousseau, un peu chez Thomas Paine, mais pas de façon centrale et insistante), Guillemin ne le dit pas, c’est le cœur de mon travail,et les deux recherches (contre-histoire de l’imposture parlementaire et promotion du pouvoir constituant populaire) sont très complémentaires.
Alors, pour isoler ce qui m’a servi dans le travail de Robespierre, je vais me servir un peu de la méthode d’Henri avec des petits papiers : j’ai prélevé quelques perles dans ma page « En vrac » (page web où je regroupe des milliers de pensées importantes, sur les pouvoirs et les abus de pouvoir, que je sélectionne et que je retiens dans tout ce que je lis depuis huit ans), et puis j’ai plein de petits papiers sur Guillemin, Robespierre, Rousseau, Thomas Paine, etc. et je vous propose d’en faire ressortir quelques-uns, en vous montrant la façon dont ça se combine avec ce projet constituant que je défends (« nous devrions écrire nous-mêmes notre constitution »), et de voir comment Robespierre (et Rousseau et d’autres), sans le dire explicitement, nous y préparaient, comment Robespierre nous préparait au tirage au sort (sourire vers Florence).
Qu’est-ce que j’ai trouvé chez Rousseau, Robespierre… qui appuie, qui sous-tende, qui permette de défendre l’idée du tirage au sort ? D’abord, un passage de Robespierre qui vaut de l’or, c’est parfait pour aujourd’hui :
« La source de tous nos maux, c’est l’indépendance absolue où les représentants se sont mis en eux-mêmes à l’égard de la nation sans l’avoir consultée. Ils ont reconnu la souveraineté de la nation, et ils l’ont anéantie. Ils n’étaient de leur aveu même que les mandataires du peuple, et ils se sont faits souverains, c’est-à-dire despotes. Car le despotisme n’est autre chose que l’usurpation du pouvoir souverain.
Quels que soient les noms des fonctionnaires publics et les formes extérieures du gouvernement, dans tout État où le souverain ne conserve aucun moyen de réprimer l’abus que ses délégués font de sa puissance et d’arrêter leurs attentats contre la constitution de l’État, la nation est esclave, puisqu’elle est abandonnée absolument à la merci de ceux qui exercent l’autorité, et comme il est dans la nature des choses que les hommes préfèrent leur intérêt personnel à l’intérêt public lorsqu’ils peuvent le faire impunément, il s’ensuit que le peuple est opprimé toutes les fois que ses mandataires sont absolument indépendants de lui.
Si la nation n’a point encore recueilli les fruits de la révolution, si des intrigants ont remplacé d’autres intrigants, si une tyrannie légale semble avoir succédé à l’ancien despotisme, n’en cherchez point ailleurs la cause que dans le privilège que se sont arrogé les mandataires du peuple de se jouer impunément des droits de ceux qu’ils ont caressés bassement pendant les élections [5]. »
Si ce n’est pas la définition des voleurs de pouvoir, ça… : des « représentants »qui écrivent eux-mêmes les règles qu’ils devraient craindre (la constitution), et qui se rendent, par ce moyen, indépendants, par rapport à nous. On est au cœur de l’imposture, à sa source.
Quand je lis ça sous la plume de Robespierre, mon interprétation (à moi qui cherche les causes premières des injustices), c’est que, si nos représentants ont pu se rendre aussi indépendants par rapport à nous, c’est parce que ce sont eux qui ont écrit la Constitution et que, si nous laissons perdurer un tel conflit d’intérêts dans le processus constituant ─ c’est-à-dire une contradiction entre l’intérêt personnel de celui qui écrit et l’intérêt général ─,si nous laissons faire ça, eh bien ça se reproduira ad vitam aeternam : dans tous les pays, à toutes les époques, nous continuerons à voir instituer notre impuissance par les (futurs) hommes au pouvoir. Alors que, si nous faisons attention au conflit d’intérêts, nous prenons alors nos problèmes politiques par le bon bout, nous sommes radicaux, nous prenons le mal à la racine, nous commençons par le commencement.
Je ne dis pas qu’ils sont tous corrompus, ce n’est pas du tout ça que je dis : je dis que, dans le processus constituant, les professionnels de la politique sont en conflit d’intérêts ; un élu,même très gentil, très généreux, ne peut pas écrire une vraie constitution, une bonne constitution, une protection du peuple contre lui-même, parce qu’il est lui-même concerné : comme un juge, un bon juge, ne peut pas rendre la justice avec sa fille ou un proche, de la même manière, les élus devraient se récuser, comme un juge se récuserait tout seul sans attendre qu’on le lui demande, les élus devraient se récuser au moment du processus constituant.
Deuxième petit papier,important pour comprendre comment le mot démocratie a été mis à l’envers plus tard : il est utile de voir que, dès l’origine, en 1789, ils savaient, les gens qui ont institué le régime dans lequel nous vivons (le pouvoir des riches pour les riches, appelé ─ trop gentiment ─ « capitalisme », on ferait mieux de l’appeler crapulisme, ce serait plus clair), ils savaient que ce n’était pas une démocratie ; notre système n’est pas un régime qui aurait été démocratique au départ et qui se serait dégradé progressivement, non ça ne s’est pas passé comme ça : Sieyès et sa bande de ploutocrates ne voulaient pas de démocratie, ils étaient antidémocrates (et ça continue aujourd’hui, dans le mensonge et le déni, mais ça continue). Sieyès parle, en1789, et ça vaut pour aujourd’hui (et c’est parce que c’est voulu que ça a lieu ; si nous voulions autre chose, nous aurions autre chose) :
« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants [6]. »
Ce que je tire de ça, c’est que notre erreur à nous, c’est d’accepter d’appeler le régime de Sieyès, le régime actuel, de l’appeler « démocratie » : en appelant ce régime « démocratie », on s’interdit de vouloir, on s’interdit de penser même, l’alternative (puisque le nom de la solution est pris par le problème : c’est très malin d’inverser les mots). La soi-disant « démocratie représentative »,c’est un oxymore, une contradiction dans les termes, l’expression démocratie représentative est une escroquerie.
Sauf si, c’est vrai, sauf si nous écrivons nous-mêmes les règles de la représentation : alors, nous allons avoir des « commis de confiance » vraiment dignes de confiance parce que nous les surveillons, parce que nous avons écrit nous-mêmes les règles de leur surveillance ; alors, là oui, peut-être aurons-nous une « démocratie représentative » avec des représentants qui seront, à coup sûr, nos serviteurs, parce que 1) nous avons écrit la Constitution et parce que 2) nous protégeons nous-mêmes cette constitution, les armes à la main s’il le faut (les armes sont un sujet difficile à traiter ces temps-ci).
Robespierre a une définition de la démocratie (alors qu’à l’époque ce mot était péjoratif, on se moquait des gens quand on disait qu’ils étaient démocrates), Robespierre disait (ça aussi, ça vaut de l’or) :
« La démocratie est un État où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu’il ne peut faire lui-même » [7].
Tout y est, là. Robespierre est un magicien des mots… Mais ce n’est pas pour ça qu’il est bon, hein : il y a des magiciens des mots qui sont des affreux ; Mirabeau, qui était un expert en la matière, aurait dit : « L’homme est comme le lapin : il s’attrape par les oreilles » [8],donc il faut se méfier des gens qui parlent bien ; en fait, il faut se méfier de tout le monde. Robespierre avait une autre bonne formule sur la défiance, mais je vous en parlerai tout à l’heure.
Encore un mot de Robespierre :
« Ce n’est pas être souverain que d’élire de temps en temps quelques représentants » [9].
Ça aussi, c’est zéro pour cent de matière grasse, hein ? C’est directement inspiré de Rousseau, ça ; je vous garde un peu de Rousseau pour tout à l’heure.
Robespierre encore :
« L’homme libre n’est pas celui qui n’est point actuellement opprimé ; c’est celui qui est garanti de l’oppression par une force constante et suffisante » [10].
Ici, c’est l’importance d’une Constitution qui est martelée : nous avons besoin d’une constitution, nous avons besoin, comme une cause commune, d’une garantie contre l’oppression. On se fiche pas mal de l’organisation des pouvoirs, il y a mille façons différentes d’organiser correctement les pouvoirs ; j’ai appris en droit que « la constitution, c’est l’organisation des pouvoirs, pouvoir législatif, exécutif... ». On oublie de me dire ─ peut-être parce qu’on avait oublié d’apprendre soi-même, d’accord, mais en tout cas… ─, nous oublions que la Constitution c’est surtout un outil qui nous protège,qui devrait nous protéger, contre les abus de pouvoir, qui devrait nous protéger contre ceux qui, en ce moment, ont le pouvoir. C’est ça le plus important dans une constitution : il faut que nous soyons tous garantis contre les abus (et pour cela, il ne faut évidemment pas laisser les pouvoirs écrire eux-mêmes ce texte protecteur). Certes, notre vie aujourd’hui est assez agréable, nous avons l’impression de n’être pas opprimés, et c’est vrai qu’il y a des tas de pays dans lesquels c’est pire, bien sûr, mais nous ne sommes pas du tout garantis contre l’oppression ; regardez ce qui est en train de se passer, ça recule partout, le programme du Conseil National de la Résistance est en train de disparaître, il est dans la cible, les riches vont s’en débarrasser, et on voit en ce moment revenir les signes avant-coureurs des guerres. Notre vie est confortable, mais si nous roupillons ça ne va pas durer.
Nous avons besoin d’une protection contre ceux qui ont le pouvoir aujourd’hui. Il se trouve que depuis deux cents ans, les marchands, et notamment les marchands d’argent, ont pris le pouvoir politique ─ voir la conférence épatante de Guillemin sur la montée de Napoléon, celle qui s’appelle Le Caïd respectueux [11],« caïd » parce qu’il nous terrorise, il nous opprime, il nous vole, il nous tue, il pille, et « respectueux » parce que ce bourreau a lui-même des maîtres, ceux qui lui font créer la Banque dite « de France » dans un but très rigoureusement privé : c’est majeur, ça, ne ratez pas cette conférence… enfin, il n’y a aucune conférence de Guillemin qui soit peu importante… mais celle-là, c’est un phare : le cœur nucléaire de notre impuissance politique, c’est quand les marchands, et les plus riches des marchands, les marchands d’argent (les banques) prennent le contrôle du pouvoir politique avec « un sabre » ; ici, c’est Napoléon,mais ça aurait pu être n’importe quel autre, il leur faut un esprit médiocre et vaniteux, c’est tout à fait Napoléon, qui obéit servilement aux financiers qui l’ont mis au pouvoir. Et on en est là, partout dans le monde.
Mais nous ne récupérerons une création monétaire exclusivement publique qu’en écrivant nous-mêmes la constitution ; les deux enjeux sont indissociables, à mon avis.
Vous, chacun d’entre vous, je ne peux pas ici vous parler individuellement, mais vous êtes pourtant concerné personnellement : ce n’est pas un sauveur qui va nous écrire une constitution ; nous n’avons pas besoin d’un texte qui va nous sauver, il ne faut pas fétichiser un texte. Ce qui va nous sauver des marchands, c’est nous-en-train-d’écrire-la-constitution, c’est nous mutants, en train de devenir constituants. C’est pour ça qu’en appelant une association « citoyens constituants », on est « à l’os », on a là une piste originale et prometteuse. Il me semble que Guillemin s’en serait emparé, j’aurais voulu le rencontrer, lui en parler… C’est raté… Mais c’est à nous de le faire continuer à vivre. Comptez sur moi.
Du côté de la méfiance,je raffole d’Alain, vous savez, Émile Chartier, qui nous apprend qu’un citoyen c’est surtout méfiant. Or les élus ne cessent de nous appeler à leur faire confiance… Il ne faut pas les écouter : les élus ont besoin de notre défiance : tout pouvoir va jusqu’à ce qu’il trouve une limite. Même les choses qui tombent ou coulent jusqu’à rencontrer un obstacle, tout ce qui est vivant, ou pas, tout ce qui a un pouvoir, le gaz, l’eau, tout, et tous les hommes, vont jusqu’à rencontrer une limite. Pas la peine de le leur reprocher, c’est comme une force physique, naturelle. Donc, il est important de décider qui fixe les limites. Ce devrait être nous, les autres, ceux qui n’ont pas le pouvoir. Ce sera par la Constitution, on l’a dit, mais pas seulement : ce sera aussi par la défiance, il ne faut pas acclamer, explique brillamment Alain (« Le suffrage périt par l’acclamation » [12]), même pas applaudir, parce que celui qui est applaudi, il est en train de se transformer… C’est très agréable d’être applaudi et ça nous change : être acclamé, ne pas être contredit, ne pas être houspillé, bousculé, c’est très mauvais, ça rend les gens fous.
Donc Robespierre disait :
« Législateurs patriotes, ne calomniez point la défiance. La défiance, quoi que vous puissiez dire, est la gardienne des droits du peuple ; elle est au sentiment profond de la liberté ce que la jalousie est à l’amour » [13].
Maintenant, pour défendre le tirage au sort… La phrase et le passage suivants, nous devrions nous les passer entre nous, les afficher au mur du salon, les commenter le soir entre amis, au lieu de parler de couillonnades, de jeux, de recettes de cuisine ou de foot ; on ferait mieux de parler de constitution, et de ce que c’est qu’une vraie démocratie, et de la centralité du tirage au sort dans une démocratie digne de ce nom.
Montesquieu :
« Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie. Le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie.
Mais, comme il est défectueux par lui-même, c’est à le régler et à le corriger que les grands législateurs se sont surpassés. Solon établit à Athènes que l’on nommerait par choix à tous les emplois militaires, et que les sénateurs et les juges seraient élus par le sort. Il voulut que l’on donnât par choix les magistratures civiles qui exigeaient une grande dépense, et que les autres fussent données par le sort.
Mais, pour corriger le sort, il régla qu’on ne pourrait élire que dans le nombre de ceux qui se présenteraient ; que celui qui aurait été élu serait examiné par des juges, et que chacun pourrait l’accuser d’en être indigne : cela tenait en même temps du sort et du choix. Quand on avait fini le temps de sa magistrature, il fallait essuyer un autre jugement sur la manière dont on s’était comporté. Les gens sans capacité devaient avoir bien de la répugnance à donner leur nom pour être tirés au sort [14]. »
Donc l’élection n’est pas démocratique. Il y a deux cents ans, tout le monde le savait : Montesquieu, Rousseau, Aristote, tout le monde, tous les penseurs politiques… Il ne serait venu à l’idée de personne, autrefois (avant que les voleurs de pouvoir ne nous rebattent les oreilles à nous répéter ad nauseam : « élections =démocratie, démocratie = élections, répète mon petit… »), avant cette période de mise à l’envers de tous les mots qui permettraient de s’émanciper, tout le monde savait que la procédure démocratique, c’est le tirage au sort, et que l’élection est, par construction (parce que l’élection consiste à choisir le meilleur, le meilleur = aristos en grec), tout le monde savait que l’élection est forcément aristocratique, par définition ; l’élection nie notre égalité politique, forcément, en considérant qu’il y a des meilleurs, politiquement, ce qui est radicalement et irrémédiablement contraire au projet démocratique (un homme = une voix pour voter les lois).
Attention, je parle là d’aristocratie au sens premier (le pouvoir des meilleurs, des vraiment meilleurs), et non pas de l’aristocratie dévoyée par la transmission héréditaire des vertus (qui est évidemment une escroquerie et qui a fait beaucoup de mal à ce mot, que nous pourrions nettoyer et reprendre à notre compte) : un régime vraiment aristocratique, qui confierait les pouvoirs aux meilleurs d’entre nous, que nous désignerions librement (sans que les partis puissent fausser nos choix en nous imposant leurs candidats), et que nous surveillerions constamment, avec la possibilité à tout moment de révoquer de notre propre initiative ceux qui déméritent, ce régime serait peut-être meilleur que la démocratie. Encore faudrait-il qu’il soit mis en place d’abord, et protégé ensuite, par des citoyens constituants désintéressés (sans conflits d’intérêts). Mais je radote, pardon.
Encore un mot puissant, d’Aristote cette fois :
« Les élections sont aristocratiques et non démocratiques : elles introduisent un élément de choix délibéré, de sélection des meilleurs citoyens, les aristoï, au lieu du gouvernement par le peuple tout entier » [15].
Est-ce que c’est bien clair ?
Aristote, ça suffit, comme gage de sérieux ?
Nous devrions nous répéter entre nous, nous imprégner de ces idées puissantes, de façon à mieux résister à l’infantilisation dans laquelle nous enferment nos élus en nous disant : « Nous sommes investis d’un pouvoir qui vous interdit de nous contredire ».
Pour défendre le tirage au sort, je prends chez Robespierre et Machiavel cette idée que le peuple est plus vertueux (moins corrompu par l’argent, le pouvoir et les privilèges) que les puissants ; plus vertueux et donc plus pertinent pour exercer le pouvoir en respectant l’intérêt général :
Pour le tirage au sort aussi (sans le savoir), la pensée de Machiavel, ce républicain (méconnu) qui affirme que la république, où le peuple gouverne, est supérieure au gouvernement d’un prince :
« Je dis d’abord que cette légèreté dont les historiens accusent la multitude est aussi le défaut des hommes pris individuellement, et plus particulièrement celui des princes ; car quiconque n’est pas retenu par le frein des lois commettra les mêmes fautes qu’une multitude déchaînée ; il y a des milliers de princes, on compte le nombre des bons et des sages. […]
Je conclus donc contre l’opinion commune qui veut que le peuple, lorsqu’il domine, soit léger,inconstant, ingrat, et je soutiens que ces défauts ne sont pas plus le fait des peuples que celui des princes […]
Ajoutons […] que les villes où les peuples gouvernent font d’étonnants progrès en peu de temps […] cette différence ne peut naître que de la supériorité du gouvernement d’un peuple sur celui d’un prince [17]. »
Et puis bien sûr, Rousseau (ça va loin, ce qui suit, écoutez bien) :
« Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l’État est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au conseil ? ils nomment des députés et restent chez eux. À force de paresse et d’argent, ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie, et des représentants pour la vendre.
C’est le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du gain, c’est la mollesse et l’amour des commodités, qui changent les services personnels en argent. On cède une partie de son profit pour l’augmenter à son aise. Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave, il est inconnu dans la cité. Dans un pays vraiment libre, les citoyens font tout avec leurs bras, et rien avec de l’argent ; loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées communes ; je crois les corvées moins contraires à la liberté que les taxes.
Mieux l’État est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les privées, dans l’esprit des citoyens. Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parce que la somme du bonheur commun fournissant une portion plus considérable à celui de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins particuliers. Dans une cité bien conduite, chacun vole aux assemblées ; sous un mauvais gouvernement, nul n’aime à faire un pas pour s’y rendre, parce que nul ne prend intérêt à ce qui s’y fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas, et qu’enfin les soins domestiques absorbent tout. Les bonnes lois en font faire de meilleures, les mauvaises en amènent de pires. Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’État : « Que m’importe ? » on doit compter que l’État est perdu.
L’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé, l’immensité des États, les conquêtes, l’abus du gouvernement, ont fait imaginer la voie des députés ou représentants du peuple dans les assemblées de la nation. C’est ce qu’en certain pays on ose appeler le tiers état. Ainsi l’intérêt particulier de deux ordres est mis au premier et second rang ; l’intérêt public n’est qu’au troisième.
La souveraineténe peut être représentée, par la même raison qu’elle peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu.
Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi.
Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dansles courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il laperde [18]. »
Pour justifier le danger que la richesse fait courir aucorps social (quelles que soient lespersonnes riches, peu importe ; c’est la richesse qui rend fou et quimet tout le monde en danger) :
Voulez-vous donc donner à l’État de la consistance, rapprochez les degrés extrêmes autant qu’il est possible ; ne souffrez ni des gens opulents ni des gueux. Ces deux états, naturellement inséparables, sont également funestes au bien commun ; de l’un sortent les fauteurs de la tyrannie, et de l’autre les tyrans : c’est toujours entre eux que se fait le trafic de la liberté publique : l’un l’achète, et l’autre la vend [19].
Sur ce qui, très fondamentalement, peut justifier le tirage au sort, qui donne le pouvoir à ceux qui ne le désirent pas, ce qui fait très précisément sa force et son intérêt : « Il est très difficile de réduire à l’obéissance celui qui ne cherche point à commander » [20]. Cette phrase me fait penser aux Amérindiens qui, en temps de paix, n’imaginent pas ce que c’est que donner un ordre, pas plus qu’ils ne conçoivent d’obéir à qui que ce soit.
Or Alain souligne ce fait, que je trouve très juste (et un peu désespérant, tant qu’on n’a pas découvert l’idée géniale du tirage au sort) :
« Le trait le plus visible dans l’homme juste est de ne point vouloir du tout gouverner les autres et de gouverner seulement lui-même. Cela décide tout. Autant dire que les pires gouverneront » [21].
Il y a donc mille raisons de refuser le pouvoir à ceux qui le veulent (depuis Platon, on sait qu’ils sont dangereux) et de préférer confier ce pouvoir (sous contrôle) à ceux qui ne le veulent pas. On pourrait aussi souligner qu’il est difficile de corrompre quelqu’un qui ne vous doit rien. Et souligner a contrario qu’il est extrêmement facile de corrompre celui qui vous doit beaucoup (par exemple, celui qui vous doit son élection passée, et/ou sa future réélection).
Bref, si on ne perd pas de vue l’intérêt général, de nombreux arguments convergent pour s’en remettre au hasard, équitable et incorruptible, pour distribuer des fragments de pouvoirs, jamais longtemps et jamais deux fois de suite, sous un contrôle sourcilleux et permanent des citoyens.
Pour conclure, je voudrais laisser la parole à mon cher Guillemin (il ne se passe pas un jour sans que j’écoute un peu de Guillemin), avec un passage que j’ai retranscrit moi-même et qui m’émeut beaucoup : il dit des choses importantes pour le comprendre ; Guillemin est un homme fondamentalement bon. Moi, je suis athée, je ne crois ni en Dieu ni au diable, mais je dois reconnaître que ce gars-là me bouleverse quand il parle de Dieu ; c’est intelligent, c’est accueillant, c’est séduisant, c’est rassurant. Voilà Guillemin qui m’explique son « arrière-plan » [22] :
« Il y a évidemment un arrière-plan dans ce que je fais, et un arrière plan déterminé, enfin je sais ce que je fais. C’est-à-dire que je choisis toujours les hommes ou événements dont je veux parler lorsqu’ils touchent aux choses qui me touchent, moi, capitalement.
Quelles sont ces choses là ? Ben, c’en est deux à vrai dire… hein, et qui se joignent. Ce sont les problèmes religieux et les problèmes politiques.
Voyez-vous, pourquoi est-ce que j’ai choisi de parler de Jean-Jacques Rousseau ? Parce que Jean-Jacques est quelqu’un qui était à la fois un chrétien, très profondément chrétien, et en même temps un homme orienté vers la défense des pauvres et des écrasés.
Pourquoi est-ce que j’ai parlé de Tolstoï ? Exactement pour la même raison : parce que Tolstoï était quelqu’un pour qui les réalités religieuses sont capitales et en même temps qui a essayé de lutter contre l’épouvantable injustice de son temps.
Pourquoi est-ce que je me suis attaché ardemment à Victor Hugo ? Parce que Victor Hugo était un homme pour qui les problèmes religieux étaient, je dirais, presque harcelants, à partir de 1849 surtout, une certaine date de sa vie, ça a été la grande question de son existence, Dieu existe-t-il ? Quel Dieu ? Comment on peut le joindre ? Et en même temps Victor Hugo était quelqu’un qui avait la même optionque moi-même, si je puis dire, sur les problèmes politiques.
Et Robespierre… je sais que certains haussent les épaules sur le discours de Robespierre sur l’Être suprême ; ben c’est précisément ce discours qui m’avait mis en branle, parce que Robespierre avait fait une déclaration que je crois pour ma part pathétique : il avait une arrière-pensée, il savait très bien ce qu’il voulait, la révolution qu’il proposait à la France n’était pas simplement une révolution civique, il voulait pas simplementchanger l’état politique et social, mais il voulait, comme il l’a dit dans un texte à la tribune de la convention : il voulait « accomplir les destins de l’humanité »1.
Qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? Ben, ça veut dire que ce sont des gens qui se préoccupent de… ce qu’est centralement la personne humaine, et moi je crois que la personne, centralement, c’est quoi ?
J’appellerais ça une espèce de noyau précaire et farouche qui constitue le JE profond. Ce noyau précaire et farouche, c’est-à-dire notre substance humaine, je la définirais, je la vois, enfin personnellement, comme une espèce de réclamation, de revendication. Nous tous, qui que nous soyons, nous avons au fond de nous-mêmes un besoin, un désir, d’une certaine totalité. On ne peut pas la définir, les uns l’appellent Dieu qui est un mot comme un autre, les autres l’appellent le bonheur, les autres l’appellent la solidarité, lacharité, la justice, mais il y a au fond de chacun de nous une réclamation viscérale d’un quelque chose qui serait notre accomplissement, notre totalité. C’est ça que je cherche toujours derrière mes personnages, et c’est ça que je voudrais essayer de faire entendre […] »
Merci.
Étienne Chouard
Texte au format PDF :
http://chouard.org/blog/2014/06/21/publication-chez-utovie-des-actes-du-colloque-henri-guillemin-et-la-revolution-francaise-le-moment-robespierre/
Notes :
[1] Lire l’épatant chapitre 8 du livre III des Essais de Montaigne sur l’art de la conversation : j’ai besoin de mes adversaires pour progresser et je les remercie quand ils me montrent mes erreurs — sans arrogance professorale, précise Montaigne, sur le ton de la conversation à égalité — nous cherchons et nous nous rapprochons ensemble de la vérité
[2] La forme exacte sous laquelle est connu ce mot de Napoléon, noté par Roederer en février 1809, et cité de mémoire parGuillemin dans une conférence, est la suivante : « Je n’ai qu’une passion, qu’une maîtresse ; c’est la France : je couche avec elle. Elle ne m’a jamais manqué, elle me prodigue son sang et ses trésors » (Pierre-Louis Roederer, Bonaparte me disait…, Horizons de France, 1942, p. 128). (Note de l’éditeur.)
[3] Le mot indique à nouveau qu’il s’agit de l’enregistrement d’une conférence. (Id.)
[4] Raymond Carré de Malberg, La Loi, expression de la volonté générale. Étude sur le concept de la loi dans la constitution de1875 [1931], reprint, Economica, 1984.
[5] Robespierre, 29 juillet 1792, dans son journal Le Défenseur de la Constitution, n° 11, « Des maux et desressources de l’État », p. 538-539 (et Œuvres, rééd. citée, t. IV, p.328). Comme ce texte circule sur divers sites, découpé en paragraphes courts,alors que Robespierre a rédigé un texte en continu, je me suis permis de le rétablir dans son aspect exact. (Note de l’éditeur.)
[6] Abbé Sieyès, discours du 7 septembre 1789 à la Constituante, Archives parlementaires de 1787 à 1860, Vesérie(1787-1799), t. VIII, Paul Dupont, 1875, p. 594.
[7] Robespierre, rapport à la Convention du 17 pluviôse an II (5 février 1794), Œuvres, rééd. citée, t. X, p. 353.
[8] Ce mot a été entendu par Étienne Chouard dans une des conférences de Pierre Rosanvallon au Collège de France sur « La démocratie du XXIe siècle ». C’est un fait qu’il traîne partout, sans référence, sur internet, par recopiage et ricochets. Étienne est donc d’accord avec moi pour le donner seulement comme « attribué à Mirabeau ». (Note de l’éditeur.)
[9] Cette citation-là aussi circule sur internet, sans référence ; on ne la trouve nulle part, sauf erreur, dans l’édition des Œuvres. (Note de l’éditeur.)
[10] Robespierre, discours du 18 décembre 1790 à la Société des Amis de la Constitution « sur l’organisation des gardes nationales » (contre la maréchaussée, police de métier au sein d’un peuple désarmé), Œuvres, éd.citée, t. VI, p. 618.
[11] Titre de la 6e conférence sur Napoléon à la télévision suisse, 1968. (Note de l’éditeur.)
[12] Alain, Propos, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, éd. Samuel Silvestre de Sacy, 1970, p. 694.
[13] Robespierre, discours aux Jacobins, 18 décembre 1791, Œuvres, rééd. citée, t. VIII, p. 59.
[14] Montesquieu, L’Esprit des lois, Livre II, chap. 2, éd.« Folio », 1.1, p. 102-103.
[15] Aristote. Politique, Livre IV. 1300b,4-5, traduction de Jules Tricot, Vrin [1962], 1989.
[16] Robespierre, discours contre le « marc d’argent » (suffrage censitaire), avril 1791, Œuvres, rééd. citée,t. VII, p. 166.
[17] Machiavel, « Qu’un peuple est plus sage et plus constant qu’un prince », Discours sur la première décade de Tite-Live, livre I, chap. 58. J’ai matérialisé par des crochets droits les coupures opérées dans le texte. (Note de l’éditeur.)
[18] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social [1762], livre III, chap. 15, « Des députés ou représentants ».
[19] Ibid., chap. 11, « Des divers systèmes de législation ».
[20] Jean-Jacques Rousseau toujours, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes [1755].
[21] Propos du 10 décembre 1935, éd. citée, 1.1, p.1298.
[22] « Lettres ouvertes », Radio-télévisionsuisse, 2 décembre 1973, transcription par Étienne Chouard (de 48:38 à 52:35).